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" L'Estaque de 1870 à 1910 va devenir en effet le creuset d'une aventure tout à fait unique. Car quelque chose d'essentiel va s'accomplir pour l'histoire de l'art entre la première visite de Cézanne à l'Estaque ( surement en 1864), mais plutôt en 1870 et la dernière visite de Braque en automne 1910 " ...
Nous avons vu dans l'article précédent comment Cézanne commence à poser un regard et une réalisation picturale nouvelle sur ce motif de l'Estaque ( revoir ici)
La " suite" sur le plan pictural va s'écrire avec l'arrivée de Derain lors de l'été 1906 à l'Estaque ; il a travaillé en compagnie de Matisse à Collioure en 1905 qui s'est engagé dans l'aventure Fauve.
« L’estaque, route tournante » Derain- 1906
Le Fauvisme ?
"Salle N°VII MM. Henri Matisse, Marquet, Manguin, Camoin, Girieud, Derain, Ramon Pichot. Salle archi-claire, des oseurs, des outranciers, de qui il faut déchiffrer les intentions, en laissant aux malins et aux sots le droit de rire, critique trop aisée. [.....] Au centre de la salle, un torse d'enfant et un petit buste en marbre, d'Albert Marque, qui modèle avec une science délicate. La candeur de ces bustes surprend au milieu de l'orgie des tons purs : Donatello chez les fauves".
Vauxcelles Dans un article "le Salon d'automne" publié dans le Gil blas le 17 octobre 1905.
Au Salon des Indépendants de 1905,le critique Camille Mauclair s'exclame aussi : "On a jeté un pot de couleurs à la figure du public".
De part ces critiques, Le " Fauvisme " était né.
Fondé en effet sur l'exaltation de la couleur pure, le fauvisme n'est pas un mouvement mais la réunion de différents artistes venus d'horizons différents qui à un certain moment vont oser la découverte de recherches chromatiques, voulant en finir avec l'art officiel et la fin de l'impressionnisme.
Ces jeunes peintres cherchant une nouvelle façon de s'exprimer travaillent avec de larges aplats de couleurs pures, violentes, vives, revendiquant un art fondé sur l'instinct.
En séparant la couleur de sa référence à l'objet, ils en accentuent l'expression en allant à l'encontre des intentions des peintres impressionnistes.
Autour de Matisse, on distingue 3 groupes : l'un qui provient, comme Matisse lui-même, de l'atelier de Gustave Moreau (Marquet, Manguin, Camoin, Puy), un autre composé de Derain et Vlaminck et le troisième, dernier venu, celui des "Havrais" : Friesz, Braque, Dufy. Tous vouent une grande admiration à Van Gogh et à Gauguin.
Leur langage complètement nouveau libère la couleur : elle construit seule l'espace, les aplats sont sans modelé ni clair-obscur, le dessin est posé simplement en larges cernes sombres, ... leur travail retentira bien au-delà de Paris ... jusqu'à la Brücke et ... à Kandinsky.
Mais revenons à Derain et à son arrivée à l'Estaque ; il traverse alors une «crise » sur cette recherche chromatique et écrit à Vlaminck :
« En somme, je ne vois d'avenir que dans la composition » ; avec environ une quinzaine d’œuvres, il parvient à harmoniser les rapports entre des lignes courbes et verticales du paysage et l'exaltation et la juxtaposition des couleurs ; il évolue ainsi vers un fauvisme de plus en plus structuré, plus sculptural.
"L'Estaque" Derain - 1906
( Derain se rendra ensuite à Cassis puis à Martigues)
A partir d'octobre 1906 jusqu'en février 1907, Braque à son tour se rend à l'Estaque (comme la plupart des Fauves) « pour prolonger la réflexion Cézanienne du motif »
"Quand vous êtes parti à l'Estaque, est-ce à cause de Cézanne ? ( J. Lassaigne) – Oui, et avec une idée déjà faite. Je peux dire que mes premiers travaux de l'Estaque étaient déjà conçus avant mon départ, je me suis appliqué encore néanmoins, à les soumettre aux influences de la lumière, de l'atmosphère, à l'effet de la pluie qui ravivaient les couleurs".
"L'Estaque" Braque - Automne 1906
Durant cette période , le Fauvisme de Braque se caractérise par l’utilisation de couleurs plus nuancées, moins vives que celles de Matisse ou Derain. Son intérêt se porte sur la modulation du relief surtout et va se diriger vers un travail «proto- cubiste » jusqu'à « l' élimination » du sujet : le rapport à la nature est remplacé par une relation conceptuelle que l'artiste entretient avec la peinture.
" Le viaduc à l'Estaque" Braque - Eté 1908
Géométrisation, structuration, simplification du motif, la gamme chromatique diminue.
"Paysage de l'Estaque" Braque - 1908
Dufy influencé par l'expo consacrée à Cézanne en 1907, rejoint Braque à l'Estaque au cours de l'été 1908, avec une recherche picturale « plus décorative».
" Paysage de l'Estaque" Dufy - 1908
" Barques à Martigues " Dufy - 1907
De retour à Paris, Braque sera refusé au salon d'Automne.
Matisse qui faisait partie du jury décrit ces tableaux, sûrement « Maisons à l'Estaque » comme faites de « petits cubes ».
Le Cubisme était né.
Braque viendra pour la dernière fois en 1910 à l'Estaque , son cubisme devient plus analytique.
" Les Usine du Rio Tinto à l'Estaque" - Braque - 1910
Il continuera l'expérience auprès de Picasso.
D'autres artistes sont venus et viendront ensuite peindre à l'Estaque,"du temps" de Cézanne ou " à sa suite" : Monticelli, Renoir, Monet, Friesz, Kandinsky, Lhôte, Marquet, Camoin,... et bien d'autres ...
Une belle page de l'histoire de la peinture s'est donc bien écrite à l'Estaque, et l'histoire continue ?...