Suite au commentaire "d'Alberti" -cf l'article "Où trouver l'inspiration...." j'ai trouvé cet article concernant le "De Pictura" qu'il vous faudra bien lire depuis que je vous en parle... (c'est peut-être un peu long à lire mais c'est les vacances... vous avez plus de temps!)

j'en avais déjà fait un article le 07 octobre 06

DE PICTURA D'ALBERTI (1435)

Publié en 1435 en latin, et l'année suivante en italien, le traité d'Alberti sur la peinture est profondément novateur; c'est le premier vrai traité sur la peinture en tant qu'art libéral sous la forme d'une théorisation systématique, et c'est également l'exposition d'un système où la beauté est subordonnée au concept central de l'historia.Avant le De Pictura, la peinture n'est envisagée que comme un artisanat, et les traités sur la peinture ne se préoccupent donc que de recettes pratiques de production des couleurs, à la manière de Pline dans le volume XXXV de son Histoire Naturelle consacré à la peinture.

Ce sont très largement les innovations de l'art de son époque qui inspirent à Alberti les conceptions fondamentales du De Pictura. Les deux panneaux de Brunelleschi, aujourd'hui perdus, et la Trinité de Masaccio à Santa Maria Novella, les premiers exemples de perspective linéaire, le conduisent à en élaborer la théorie. D'autre part, la construction de la coupole de Santa Maria del Fiore lui fait prendre conscience de la possibilité avérée de dépasser le modèle des Anciens, bouleversant ainsi le statut de l'activité artistique dans son ensemble, puisque l'affirmation de la possibilité de surpasser le modèle antique détermine la perfectibilité de l'art, désormais inscrite dans le temps. Cette affirmation constitue l'essentiel de la dédicace à Brunelleschi de l'édition italienne de 1435.

Conformément au schéma des traités de rhétorique dont il s'inspire sans le dire (en particulier Quintilien), Alberti élabore son traité en trois parties, en commençant par les éléments de la peinture (Rudimenta) au Livre I. La perception visuelle y est analysée sous un angle purement géométrique, même si Alberti insiste sur la spécificité de son discours qui, contrairement aux mathématiques, rétablit la matérialité en mettant les choses sous les yeux. Toute dimension ontologique de la perception visuelle est rejetée du De Pictura qui se situe uniquement d'un point de vue phénoménal.

La perception visuelle est élaborée à partir du plus petit élément identifiable, le point, puis le contour, la ligne et la surface. Le premier élément mathématique essentiel du traité est la pyramide visuelle, outil clé qui rend compte de la manière dont les rayons visuels sont en relation avec l'?il, et qui tranche avec la théorie qui prévalait avant le De Pictura, celle du cône visuel. La différence essentielle tient au fait que la section de la pyramide est un quadrilatère, comme la surface du tableau à peindre, alors que la section du cône était un cercle. La première mention de l'histoire (historia) la rattache clairement à la composition, autre nouveauté du traité, critère rhétorique appliqué à la peinture, et "difficile à trouver chez les Anciens" (§19). Le premier livre s'achève sur l'affirmation, quasi-révolutionnaire en 1435, de l'activité intellectuelle du peintre: "Il faut maintenant apprendre au peintre comment traduire ce que son esprit aura conçu". (§24).

Le Livre II est consacré à la peinture elle-même (Pictura) et les éléments d'analyse de la perception visuelle du Livre I y sont réutilisés comme composantes d'un système de production de la peinture. La beauté y est mentionnée pour la première fois, et la nature de la peinture est "d'ajouter à la beauté des choses", ce qui confère à l'artiste un pouvoir de réalisation d'une beauté jamais actualisée dans la nature à cause d'une résistance de la matière, conception purement aristotélicienne. En même temps, la reconnaissance du pouvoir créateur de l'artiste anticipe sur sa reconnaissance au siècle suivant. Le second outil essentiel du traité est le voile intersecteur, interposé entre l'?il et l'objet à peindre, fait d'une trame de fils où chaque objet trouve sa place, et à partir duquel il ne reste plus au peintre qu'à reproduire la place respective de chaque élément sur le dallage ou l'échiquier qu'il a tracé sur la toile du tableau. Grâce à ce voile, il est possible d'obtenir une composition satisfaisante, d'où une harmonie des corps, elle-même génératrice de beauté. Le primat de l'histoire fait donc de la beauté l'auxiliaire de cette dernière.

L'histoire est analysée plus longuement, son principe directeur étant l'action, et son critère de qualité l'effet produit sur le spectateur, dont elle doit retenir l'attention, éveiller le plaisir et chez qui elle doit provoquer un mouvement de l'âme. L'ensemble de cet exposé aboutit à la définition du principe esthétique majeur à l'époque, la mimésis sélective. Déjà présente chez les Anciens avec l'anecdote de Zeuxis (rapportée par Pline) réunissant en une seule Hélène peinte sur sa toile les beautés de cinq jeunes filles différentes, l'imitation sélective est reprise par Alberti qui recommande d'omettre ou corriger ce qui est choquant, tout en maintenant la ressemblance, car ces deux principes ne sont absolument pas perçus comme contradictoires à l'époque.

C'est finalement au peintre qu'Alberti s'intéresse dans le Livre III (Pictor), en lui recommandant la fréquentation des poètes et des rhéteurs. Il établit un parallèle entre apprentissage de l'écriture et apprentissage de la peinture, les caractères d'écriture correspondant aux contours, les syllabes aux liaisons des surfaces, et l'expression aux formes des membres. Le but du peintre est "la beauté même, la reconnaître, la saisir, la traduire" (§54). Autre nouveauté spectaculaire du De Pictura, la beauté y est définie comme le fruit d'une somme de connaissances pragmatiques, conception qui sera abandonnée par Alberti dans le De re acdificatoria de 1452.

En rejetant toute dimension métaphysique, le De Pictura confère à la création artistique une autonomie qui ne sera pleinement réalisée qu'au XVIIIe siècle. Entièrement analysé et reconstruit de manière géométrique, l'espace perd toute dimension symbolique et s'ouvre à une multitude de relations narratives entre les différentes figures représentées (= l'histoire). C'est de cette mise en ordre intelligible que dépend la beauté du tableau.

Le système de production de la peinture peut donc se schématiser ainsi:

Point-> Ligne-> Surface-> Membres-> Corps-> Histoire

Ce système, lui-même constitué par les éléments de l'analyse de la perception visuelle, est réversible en un système d'analyse et de jugement des ?uvres picturales.

Le De Pictura présente donc un nouveau sujet de la peinture, l'espace construit, une nouvelle méthode essentiellement pragmatique, la production d'un art d'illusion à partir d'éléments géométriques, une conception de la beauté purement rationnelle, et non métaphysique, et il établit la supériorité de la beauté intelligible de l'?uvre sur la beauté naturelle. Le De Pictura est nouveau dans sa forme même, dans la cohérence systématique de son système réversible, et dans les anticipations véritablement géniales sur ce qui ne sera appelé que beaucoup plus tard l'esthétique.

Eléments bibliographiques:

L.B. ALBERTI, De Pictura (1435), Paris, Macula, Dédale, 1992.

PLINE L'ANCIEN, Histoire Naturelle XXXV, La Peinture, Paris, Les Belles Lettres, 1997.

 E. PANOFSKY, Idea, Ch. III (La Renaissance), Paris, Gallimard, 1983, 1989.

 J.K. GADOL, Leon Battista Alberti, homme universel de la Renaissance, Paris, Editions de la Passion, 1995.

 

Delphine Lemonnier a présenté le De Pictura d'Alberti dans une double perspective, à la fois esthétique et historique.Séminaire Epistémè (Paris III - Sorbonne Nouvelle) Compte-rendu de la séance du 14 Décembre 1998. 

3 Thoughts on “De Pictura

  1. Paul Cézanne on 11 août 2007 at 4 h 08 min dit:

    " Peindre d’après nature ce n’est pas copier l’objectif, c’est réaliser ses sensations"….

  2. Je vois qu’avoir un commentaire d’une personne aussi illustre laisse les autres sans voix !

  3. Je suis assez d’accord avec "Paul"!

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