Tout au long de sa vie Artemisia ne cessera jamais de peindre et d'améliorer son style, « s'attaquant » à des sujets et des thèmes plutôt traités à son époque par des artistes« masculins ».*
Ainsi « l'histoire de Judith tuant Holopherne », l'un des thèmes récurrent dans la peinture religieuse, alors.
L'histoire de Judith est racontée dans un livre de laBible : « Le Livre de Judith » ( il fait partie des livres canoniques, mais les protestants le classent comme apocryphe)
Pour mieux comprendre, un petit résumé de l'histoire !
« Dans la 12eannée de son règne, année où il se dit être «le maître du monde », Nabuchodonosor II roi d’Assyrie bat les Mèdes et envoie le général Holopherne châtier les peuples de l'ouest qui ont refusé de le soutenir dans la guerre qu'il a menée contre le roi perse Arphaxad.
A la tête d'une immense armée, Holopherne avance, détruisant et exigeant que Nabuchodonosor soit honoré comme un dieu.
Après avoir pillé, tué et ravagé dans tout le Proche-Orient, Holopherne assiège Béthulie, une ville juive (probablement Massalah), qui résiste.
Il fait boucher alors la source qui alimente la ville en eau.
Assoiffés, les Béthuliens désespèrent et sont sur le point de se rendre quand, Judith, jeune veuve de Manassé, d'une grande beauté et réputée pour sa piété et sa sagesse, prend la décision de sauver la ville.
Avec sa servante et des paniers remplis de présents, elle pénètre dans le camp d'Holopherne, parée de ses plus beaux bijoux, et fait croire qu’elle apporte de précieuses informations sur les Juifs.
Judith reste 3 jours dans le camp, et chaque soir se dirige vers un torrent à l'extérieur pour s'immerger et se purifier..
Holopherne,tout de suite séduit par sa beauté et son intelligence, organise un grand banquet en son honneur, à la fin duquel ses domestiques se retirent discrètement pour ne pas troubler la nuit qui … semble s'annoncer !
Mais Judith continue d'enivrer Holopherne jusqu'à ce que, hors d'état de se défendre, elle le décapite avec l'aide de sa servante ... et du cimeterre du dit Holopherne!
Elle ramène la tête d’Holopherne dans son panier en se dirigeant comme les autres soirs vers le torrent ….
Les Béthuliens attaquent alors et mettent en déroute les Assyriens qui,de leur côté, découvrant au matin leur chef assassiné, sont pris de panique et s'enfuient."
Cette histoire a inspiré de nombreux artistes : des peintres, des sculpteurs, et se retrouve aussi dans de nombreuses œuvres littéraires ou théâtrales..
Donatello, Botticelli, Mantegna, Giorgone, Le Titien, Cristofano Allori, Rubens, Le Caravage, Horace Vernet... jusqu'à Klimt ont travaillé le sujet....
Cette histoire est devenue un mythe.
Artemisia Gentileschi consacrera cinq tableaux à cette histoire.
Sans nul doute que cette histoire " biblique" fait écho à la propre violence qu'elle a du subir ( cf ici )
Et de fait il y a une "grande différence de ton" lorsque l'on compare les œuvres d'Artemisia et celles de ses "collègues" masculins mais aussi entre Artemisia et d'autres femmes contemporaines qui ont traité ce même sujet (ex : Lavina Fontana ou Fede Galizia...)
En mettant en parallèle, par exemple, la Judith du Caravage et celle d'Artemisia, la différence saute tout de suite aux yeux...
- en premier, le contraste se situe dans la composition et le sens choisi ( l'un en hauteur, l'autre en largeur) du tableau.
- chez Artemisia, la scène est resserrée, les femmes actives l'une et l'autre maintiennent fermement Holopherne; le centre du tableau passe par "le cœur" de l'action et donne cohésion à la scène dans un mouvement circulaire autour de ce même centre ( position des têtes, des bras ...).
- chez le Caravage, les femmes semblent " décentrées" par rapport à l'action, le tableau est scindé en deux parties; les femmes sont actrices mais donne l'impression de l'être malgré elles... elle semblent plus spectatrices. Le geste est toujours au centre du tableau, mais là au lieu de faire cohésion à l'ensemble, il semble les séparer...d'un côté Holopherne... de l'autre Judith et sa servante.
- "Les Judith" sont là deux femmes différentes:
- celle d'Artemisia, est forte, déterminée, accomplissant son geste avec calme et "soutenue" par sa servante, jeune qui participe aussi à l'action. On les retrouve complices... de même dans le tableau suivant où elles emportent la tête d'Holopherne et semblent en plein conciliabule.
- la Judith du Caravage, est plus menue et apeurée; elle se tient le plus loin possible, essayant d'éviter le sang qui coule de l'autre côté; sa servante semble plus déterminée mais a un rôle passif qui "déteint" sur l'attitude de la jeune fille. Elle semble agir malgré elle, semble passive, et a une mine de dégoût.
Si Le Caravage représente une Judith passive et craintive, conformément à l'idée que l'on se faisait de la femme à son époque, la composition et la réalisation des tableaux d'Artemisia "sonnent" comme une vengeance liée aux traumatismes de sa propre vie ....
A notre époque, ces sujets "n'ont plus cours" bien que d'autres violences soient aussi souvent exprimées dans l'art ... mais autrement!
Il est intéressant de comprendre à chaque époque et à travers chaque œuvre, les intentions de l'artiste... et remettre l’œuvre dans son contexte... Ce qui nous permet de mieux comprendre et apprécier !
Si vous voulez découvrir encore et plus sur Artemisia , deux excellents livres :
- " Les femmes peintres " de Clarisse Nicoïdski chez Lattès
- "Artemisia" d'Alexandra Lapierre chez Robert Laffont
et un film :
- " Artemisia" d' Agnès Merlet ( 1997) avec Valentina Cervi et Michel Serrault ...
Double cliquez sur la vidéo pour mieux la voir !
Quelle histoire en effet,passionnant! Le tableau comme sa vie.
Merci et bonne journée.
Super ! … c’est toi qui racontes alors !!!
merci pour toutes ces infos je serai presque incollable mercredi myriam