Nous ne pouvons nous intéresser au trompe l’œil sans faire un " tour" du côté de l'Hyperréalisme.
Le trompe l’œil reproduit directement le réel et ce à la même échelle; l'hyperréalisme passe par la photographie et transforme l'échelle de la réalité...
L’Hyperréalisme (terme français équivalent aux termes américains Photorealism et Superrealism) date de la fin des années 1960 et du début des années 1970. Mais ce n’est pas seulement un mouvement de mode car la plupart des peintres initiateurs de ce mouvement ont continué, enrichi et souvent diversifié leur œuvre, relayés par une puis deux générations de nouveaux artistes.
L’hyperréalisme représente un moment de rupture dans l'histoire de l'art, car tout au long de la période où l'art abstrait a dominé,le réalisme a recherché une nouvelle identité tant en Europe qu'au Etats Unis.
L'hyperréalisme se retourne vers une peinture de chevalet en rétablissant les procédés de la peinture conventionnelle avec un autre "contenu". C'est un retour passionné à l'acte pictural. .
L’hyperréalisme n’est pas un mouvement au sens formel. Il n’a pas de manifeste et beaucoup de ses artistes ne se sont jamais rencontrés, mais une sensibilité commune les réunit à partir des relations existant entre l’artiste et son sujet : une "distance" par rapport à ce sujet,l’usage de la photographie,et un engagement total et laborieux de l’artiste soucieux de rendre avec exactitude la forme, la lumière et la couleur.
Chaque peintre hyperréaliste traduit quasiment de la même manière technique le paysage contemporain et plus particulièrement les images d’une société moderne;ce n’est pas le style qui les différencie mais le thème privilégié par chacun d’eux et la manière dont le sujet est vu.
Les hyperréalistes peuvent être qualifiés de « virtuoses » parce qu’ils parviennent à une telle perfection que l’on arrive à confondre leurs toiles avec des photographies; mais il serait réducteur de ne considérer l’hyperréalisme que comme une représentation mécanique.Cette apparente impersonnalité est en effet démentie par le fait que, ces peintres prennent eux-mêmes les photos à partir desquelles ils travaillent ; choisissant le sujet, la disposition, l’éclairage, la composition et les couleurs.De plus un grand nombre de peintres modifient la photo.
Le fait de peindre laborieusement pendant des mois, ce que l’appareil photo peut instantanément reproduire sans effort n’est pas dénué de sens : le tableau n’est pas une photo et lors de ce lent processus d’effort humain, il acquiert sa propre personnalité pour délivrer une vision intensifiée et densifiée de ce qu’il représente.Pour appliquer son pouvoir, l’artiste hyperréaliste a besoin du pinceau, du couteau, de l’aérographe, mais aussi de l’appareil photographique, de l’appareil de projection …, le tout consistant toujours, de toute façon, à redoubler, prolonger ou projeter une image de soi vers le monde.
Une des caractéristiques majeure de l’hyperréalisme est la représentation fréquente en gros plan et très détaillée d’une partie d’un ensemble (Sharp focus). L’agrandissement démesuré d’un sujet est une autre forme d’abstraction : en séparant celui-ci de la réalité ordinaire il lui confère une nouvelle identité ( Gigantic scale).Les peintures souvent de très grand format, font alors surgir des formes abstraites ou des constructions imaginaires qui révèlent quelque chose de l’ordre caché de l’environnement quotidien.
Confronté à une peinture hyperréaliste, vous n’avez pas l’illusion de regarder une moto, une vitrine de magasin, un flipper ou des bouteilles de ketchup…Peu importe la précision avec laquelle les motifs sont reproduits, vous savez que vous êtes devant une image.Le contexte n’est pas le bon, l’échelle est disproportionnée, le langage visuel est celui de la photographie.
Lorsqu’un peintre projette une photo sur une toile et peint ensuite d’après la photo projetée, il ne traduit en fin de compte que la fiction de la réalité qu’il a vécue, qu’il a pensée et qu’il a travaillée.
Le tableau hyperréaliste devient ainsi la réalité de cette fiction.La photographie joue le rôle d’intercepteur et est au cœur du mouvement.Prétendre que la peinture hyperréaliste se contente de reproduire la réalité est un contresens puisque l’image relègue bien souvent la réalité au second plan.
La profusion d’images véhiculées par la vidéo, le cinéma ou la photographie a changé notre manière de voir et les hyperréalistes enregistrent ces changements.Aujourd’hui les images diffusées par les médias sont aussi importantes que les phénomènes réels. Elles modifient notre perception des phénomènes réels et contribuent à hiérarchiser leurs valeurs.
Les hyperréalistes se servent donc de la photographie pour établir une distance entre eux et le sujet.La photographie fait passer l’image d’un plan à trois dimensions à un plan à deux dimensions d’une manière objective excluant les préférences affectives ou psychologiques de l’artiste.
Néanmoins la photographie n’est pas considérée comme un simple outil par tous les artistes. Bien qu’ils l’utilisent pour se distancier du sujet et se libérer des conventions esthétiques du passé, la photographie constitue pour eux une nouvelle manière d’appréhender les sujets.Les mêmes peintures ne pourraient pas être peintes sans photographies et la visualisation photographique fait partie de l’idée de la peinture.
Il convient ainsi de distinguer entre les peintres qui utilisent la photographie pour représenter ce que voit l’objectif et ceux qui utilisent celle-ci pour représenter ce que voit l’œil.
L’hyperréalisme a facilité une dialogue croisé entre la peinture et la photographie. Ce dialogue permanent entre les deux techniques joue un rôle important dans l’art contemporain. On n’entend pas dire à propos des œuvres hyperréalistes « c’est tout à fait la réalité », mais « c’est tout à fait une photo ».
Il rappelle toujours que la photo se trouve toujours entre la réalité et l’art et que ce monde d’entre deux fait l’objet de l’œuvre.
Ce n’est pas la réalité qui importe mais la photographie, car c’est celle-ci qui constitue le sujet de l’œuvre.
L’artiste saisit et communique le message de l’objectif. Il affirme l’intégrité de son sujet tout en visant à la perfection..
” On n’entend pas dire à propos des œuvres hyperréalistes « c’est tout à fait la réalité », mais « c’est tout à fait une photo ».” Phrase révélatrice pour moi de ce que je ne saisissais pas jusqu’à présent de mes sentiments, magnifique article qui me fait enfin comprendre (un peu) pourquoi l’Hyperréalisme m’émeut tellement. Merci Christine … (encore une fois…)
C’est en effet ce que nous avons déjà abordé l’an passé : la ” distanciation picturale” par “l’effet photographique” qui crée l’émotion. L’hyperréalisme ne doit pas se regarder non plus comme un seul exercice de ” savoir faire ” et de virtuosité… Toujours à méditer tout çà !