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" ... Je vois dans l'aéropeinture le moyen de dépasser les frontières de la réalité terrestre, tandis que surgit en nous, pilotes inextinguibles de nouvelles réalités plastiques, le désir latent de vivre les forces occultes de l'idéalisme cosmique"
( Enrico Prampolini " La plastique futuriste " - " Aeropittura e superamento terrestre" - 1931)
Le peintre italien Enrico Prampolini, sous le nom d'"idéalisme cosmique" désigne une version de l'aéropeinture futuriste dont l'objectif serait de donner vie " aux images latentes d'un monde nouveau de réalités cosmiques" .
Ceci dès le début des années 1930, alors que le voyage dans l'espace n'est encore qu'un rêve.
" Le scaphandrier des nuages " - Enrico Prampolini
Huile sur toile - vers 1930 - 115,7 x 89 cm
Musée de Grenoble
Dans cette composition de courbes et de sphères évoquant un paysage cosmique où se superposent les transparences de nuées bleues et blanches, est à peine suggérée la silhouette d'un homme en buste coiffé d'un casque pour se prémunir des " raréfactions" de l'atmosphère.
Ce vague astronaute avant la lettre est certainement l'une des toutes premières représentations du genre (en dehors d'images de presse ou d'illustrations populaires... ); la combinaison pressurisée pour les vols à très hautes altitudes ne sera en effet mise au point aux États Unis qu'à partir du milieu des années 1930.
Prampolini ne peut se baser alors que sur les premiers scaphandres pour la plongée sous marine. ( C'est un tel scaphandre que porte le professeur Mannfeldt quand il débarque sur la lune dans le film de Fritz Lang " Frau im Mond " La femme sur la lune" sorti en 1929)
Mais les enjeux de l'"idéalisme cosmique" de Prampolini dépassent les progrès futurs de l'aéronautique afin d'en révéler un sens mythologique.
L'artiste tend vers "une nouvelle spiritualité extraterrestre" où il s'agit de retracer " les nouveaux paysages spirituels de l'âme cosmique" et de " révéler la physionomie de l'âme en la faisant revivre dans l'espace", rappelant les croyances en la " métempsychose stellaire" de la " religion astronomique" promue par Camille Flammarion et ses émules.
Dans ce contexte, l'aéronaute est souvent amené à prendre en charge l'image de la destinée extraterrestre :
" ... Car la vie terrestre, un jour, sera menacée. Un terrible dilemme se posera : ou retourner au néant à travers la décrépitude lente des régressions, ou, pour y échapper, vaincre, avec un nouvel engin, l'immensité. Certainement le voudra et l'exécutera un groupe de ces surhommes du futur, mille fois plus puissants, mille fois plus intelligents que nous, qui pourtant les concevons obscurément en esprit, et les savons inclus dans les parties les plus profondes de notre être. ... " ( Testament du capitaine Ferber : en savoir + : ici)
Ferber, Tsiolkovsky, Feddorov ... diffusent largement les idées d'un espace colonisé par une humanité plus avancée qui gagnerait ainsi son immortalité.
" Cette conquête de la route de l'Espace nous est absolument imposée comme un devoir pour préparer la Résurrection. Sans prise de possession de nouveaux espaces, il n'y aura plus de place sur Terre pour la coexistence de toutes les générations ressuscitées ".
Nikolaï Fedorov " L'Avenir de l’astronomie et la Nécessité de la Résurrection".
Cette idéologie cosmique aura de nombreuses influences sur l'avant-garde russe auprès des artistes du constructivisme russe, tels Malevitch ou Kroutikov.
( relire sur Malevitch : ici)
Cette approche métaphasique du vol spatial est interprétée
comme une nouvelle étape de l'évolution dont l'astronaute serait l'éclaireur.
Par le voyage spatial, le cosmos accouchera d'une nouvelle humanité.
" Maternité cosmique " 1930 - Enrico Prampolini
Huile sur toile - 120 x 93 cm
Collection particulière
Toile faisant diptyque avec le " scaphandrier des nuages"
" Maternité cosmique 2" vers 1942 - Enrico Prampolini
Huile sur toile - 116 x 88 cm
Rome, Galleria Nazionale d'Arte Moderna
Cette deuxième version de la "Maternité cosmique" s’appuie sur l' image plus familière de la Vierge chrétienne ( pourtant traitée de façon peu conventionnelle).
Ce rapprochement avec l'iconographie chrétienne se retrouve en autres dans les travaux de Marinetti (l'aéropoema de Gesu) ou ceux d’Apollinaire donnant la vision d'un Christ aviateur dans le poème " Zone"; ici ce dernier évoque un siècle qui s'apprête à s'envoler sur les ailes des avions " comme Jésus ... " .
Ces visions de la survie de l'âme chrétienne dans le milieu cosmique s'étaient rencontrées déjà à l'époque du futurisme .
Pourtant ces idées continueront même après la réalité de la conquête spatiale : au lendemain de la mission d'Appollo 11,
" L'alunissage des astronautes représente plus qu'une simple étape de l'histoire. C'est une étape de l'évolution" ( le New Tork Times)
Bluffant ces visions d’artistes des années 30 dont j’ignorais l’existence
Jean
Et d’autres ( ou tout du moins un autre ) aujourd’hui 😉 !