Les Femmes du XVII° excellèrent dans la "nature morte", qui plus qu’un trompe l'oeil et au-delà de son rôle décoratif, a un sens symbolique.
La tradition du symbolisme dissimulé de la nature morte remonte au Moyen Âge.
Par exemple :
- les natures mortes de fruits / pommes, poires, raisins # sang du christ, amour du christ...
- une noix ouverte # bois de la croix
- la souris qui la grignote # symbole du mal
- de doux cerneaux-# nature dispensatrice de la vie du christ.
(Voir le « Dessert » de Georg Flegel)
Au XVI° et XVII° s., périodes transitoires dans l'histoire de la Nature Morte,les valeurs humanistes prennent le pas sur le symbolisme religieux.
Les thèmes deviennent des " emblèmes", "contenus spirituels énigmatiques pour la plupart de nature morale", et donc une œuvre comporte une image ou" pictura " et une courte devise, transmettant un message d'ordre moral, religieux, politique ou critique.
A l'âge classique, en raison de la hiérarchie des sujets, le peintre de nature morte n'était pas très estimé.
Premier "échelon" dans l'échelle des valeurs des sujets, c'est l'un des thèmes qu'il est permis aux femmes d'aborder.
Elles vont ainsi s'exprimer à partir de cette symbolique, tout en suivant les conceptions esthétiques de leur temps et les concepts de leur milieu. Grâce à ce langage, elles vont pouvoir "dire" sans pour autant enfreindre l’interdit ; la nature morte s’impose comme un art "savant", nous renseignant sur l'Histoire, la vie quotidienne, la sensualité, la façon d’appréhender la mort, la découverte des objets, l'avancée des sciences...
Louise Moillon (1610 - 1696) est l'une de ces femmes.
Née en 1610 dans le quartier parisien du Pont Notre Dame, fille d'un peintre protestant de portraits et de paysages prénommé Nicolas, elle montre assez tôt des dispositions artistiques. Dès l'âge de 10 ans, elle vend ses œuvres.
Ce fut sûrement son père, mort en 1619,son premier maître en peinture, puis, peut-être, le peintre de natures mortes et marchand de tableaux François Garnier, que Marie Gilbert, mère de Louise, épouse en seconde noce.
En 1630, Louise a déjà réalisé ou esquissé plus de vingt tableaux.Elle semble donc avoir été très tôt une artiste prolifique, dont la production (grâce au commerce de son beau-père?) était appréciée.
Charles Ier d'Angleterre a acquis cinq de ses natures mortes.
La majorité de ses tableaux sont datés de 1629 à 1637, ce qui semble avoir été la période la plus importante de son activité ( même si elle s'est poursuivie au moins jusqu'en 1674)
En 1640, Louise se marie avec le marchand de bois protestant Étienne Girardot de Chancourt, dont elle aura trois enfants.En 1685, Louis XIV révoque l'Édit de Nantes et ne laisse le choix aux protestants qu'entre la conversion et l'exil. En 1686, son mari est emprisonné,l'un de ses enfants est contraint à l'abjuration et les deux autres s'enfuient à Londres. Louise Moillon, qui a alors 75 ans, ne renie pas sa foi, et c'est « protestante » qu'elle meurt à Paris en 1696.
Louyse ( ou Louise)semble ne jamais s'être écartée du domaine de la nature morte, tenu certes pour inférieur dans la hiérarchie des genres, mais très en vogue en France à l'époque.
Il lui arrive quelques rares fois d'ajouter des personnages à ses compositions (ex: "Marchande de fruits et de légumes"- musée du Louvre - 1630) mais, même dans ce cas,ce sont les végétaux qui sont mis en évidence.
Au début de sa carrière,ses compositions sont dépouillées, généralement symétriques, et les objets sont mis en valeur par une lumière rasante.
Cerises, fraises et groseilles à maquereau -1630, Pasadena
Observez dans cette composition, le passage de "l'opaque des fraises, à la brillance des cerises, au translucide des groseilles ... jusqu'à la transparence des gouttes d'eau"
Puis, au fil des ans, ses œuvres se font plus complexes, ombres et lumières structurant plus nettement espace et sujets.
Panier de fruits, jatte de fraises, asperges et artichauts.
L'"impression" de simplicité et de fraîcheur ne doivent pas faire oublier le travail d'observation et la maîtrise technique nécessaires à ces représentations « réalistes» qui nous invitent à la méditation.
Mais outre la valeur réaliste, voire décorative de ses œuvres, faut-il déceler dans les compositions de Louise une portée plus symbolique ?
Une mouche sur la pelure d'un fruit, une pomme abîmée, peuvent aller dans le sens du répertoire des "Vanités".
Deux "pistes de lecture d'images":
- l'une,évoquant l'univers des sens :Des abricots(... ou des prunes), à l'équilibre précaire peuvent nous évoquer l'instabilité dans laquelle peut nous entraîner la recherche de plaisirs terrestres :l'abricot au parfum délicat, à la chair juteuse et sucrée, aux formes éloquentes, y est associé.
Une même association « plaisir- danger » peut aussi se lire dans les bottes d'asperges, à la forme très suggestives,posées sur le feuillage rugueux des artichauts.
- l'autre, celui des métaphores religieuses : sang du Christ pour les cerises, faisceaux de verges de la Flagellation pour les asperges, couronne d'épines pour les artichauts et la branche de groseillier à maquereau, promesse de la Résurrection pour les fraises (correspondance est attestée depuis le Moyen-Âge).
Quelque soit les intentions que vous y mettrez, ayez plaisir à vous approprier de tels sujets... et si vous faites un tour au Louvre, n'oubliez pas d'aller admirer les œuvres de Louyse.. il y en a au moins 2, autant que je m'en souvienne ....
Merci pour cette belle sélection de femmes ! En partage, je vous propose de découvrir ma série de dessins en cours de réalisation : “Vanité”, dont le rapport du GIEC est à l’origine : https://1011-art.blogspot.com/p/vanite.html
Une nature morte contemporaine par une femme aussi !