... Depuis notre plus jeune âge, nous avons appris à reconnaitre et à nommer les couleurs par leur teinte.
Ainsi nous distinguons ce qui est jaune, rouge, vert, bleu, etc ...
Et même, plus tard nous avons appris à "ranger" les couleurs selon un ordre" logique" ( surtout depuis que Chevreul est passé par là et nous a laissé le fameux cercle chromatique)
Nommer une couleur par ces termes : vert, jaune, bleu ... est pourtant une notion totalement abstraite ( à savoir d'ailleurs si nous voyons tous la même teinte pour une couleur nommée ... mais ça c'est une autre histoire !)
Revenons à nos couleurs !
Avec par exemple le vert :
vous reconnaissez...
une salade verte
une pomme verte
le vert de l'émeraude
une grenouille verte
une souris verte 😀
Ce mot "générique" "vert" s'applique donc à des sujets complètement différents qui de plus n'ont pas tout à fait la même teinte ! Ils sont verts, en effet, mais se distinguent par la nuance ou par le ton.
Souvent lorsque nous voulons préciser cette teinte ou cette nuance, nous ajoutons au terme "vert" une précision : de là les expressions telles que vert émeraude, vert pomme, vert gazon ...
Au Japon, cependant, cette manière de concevoir et de désigner les couleurs est très différente.
Les conceptions affectent une forme plus concrète, et la manière de les exprimer dans le langage est différente.
Ainsi les japonais appellent :
- le noir : « couleur d’encre », sumi iro ;
- le rose : « couleur de pêche », momo iro ;
- le bleu : « couleur de ciel », sora iro ;
- le rouge : « couleur de fard », beni iro ;
- le vert : « couleur d’herbe », kusa iro ;
- le jaune : « couleur d’œuf », tamago iro,
- l'ensemble des teintes du marron/brun : "la couleur du thé, cha iro
Ce sont toutes des expressions concrètes, car, au Japon, l’idée abstraite d’une couleur qui n’est celle de rien en particulier n’existe pas, et, par conséquent, il n’y a pas de mot exact pour l’exprimer.
D’autre part, l’analogie que nous saisissons entre plusieurs teintes, que nous rangeons ordinairement dans la même catégorie, échappe souvent à l’esprit japonais, parce qu’il ne les conçoit pas de la même manière.
Là où nous ne voyons que des nuances d’une même couleur et des tons d’une même nuance, il voit souvent plusieurs couleurs sans lien de famille et d’appellations diverses.
Mais il arrive aussi que le japonais ne voit qu’une seule couleur où nous en voyons deux !
Exemples !
Le vert, le bleu et le jaune :
- On qualifie du même nom, aoi, des objets dont nous disons sans hésitation qu’ils sont bleus, quoique le même attribut aoi convienne à d’autres objets évidemment verts.
Un ciel pur, sans nuages et par conséquent bleu, se dit aozora ; un arbre vert se dit aoi ki, ... dans les deux cas le caractère idéographique est le même.
Leur expression midzu iro, couleur d’eau, devrait s’appliquer à ce que nous appelons vert d’eau ; or il en est autrement, car les objets qui sont pour eux couleur d’eau sont en réalité bleu tendre.
Sans doute, l’eau en couche très épaisse et vue par transparence est bleue, mais ce n’est pas la manière ordinaire de la voir.
Le bleu, si doux à la vue, désigné sous le nom de asagi iro, est plutôt connu comme vert ou jaune, car asagi est le nom d’une plante qui est d’une nuance intermédiaire, entre jaune et vert, et s’écrit du reste avec les caractères asa, peu élevé, clair, et ki, jaune.
D’un autre côté, le bleu de notre drapeau tricolore est une espèce de violet pour n’importe quel Japonais, qui emploiera en effet l’expression fuji murasaki pour le désigner.
Une des différences les plus notables quand on étudie la langue, c'est l'utilisation du mot "bleu" 青 (ao) pour parler de choses qui sont fondamentalement vertes.
- Le vert, qui peut se dire aussi bien de l’herbe, des feuilles d’arbres, ou de l’émeraude, n’est pas connu : il n’y a pas de caractère idéographique pouvant le représenter.
Le mot aoi, vu plus haut que les dictionnaires traduisent par vert, se rencontre bien dans la langue japonaise, et est fréquemment employé, mais il n’est pas l’expression de la même idée qui nous est familière à propos du vert.
L’idée de vert est en effet représentée par divers caractères, selon qu’elle se rapporte à telle ou telle classe d’objets, ainsi : un arbre vert et une montagne verte s’écriront avec le même caractère ; au contraire, la mousse verte, une forêt verte, une pierre verte, s’écrivent avec des caractères différents. - Par exemple, l’idée que nous nous faisons du bleu en général ne peut pas se rendre en japonais.
Il semble aussi qu'autrefois, il n'existait pas de terme pour différencier exactement le bleu du vert et qu'on utilisait donc le même terme.
Et le mot "bleu" est utilisé pour décrire des choses qui sont réellement de couleur verte :
la montagne 青山
les pommes vertes 青りんご
le teint vert du visage 顔が青い
les feuilles vertes 青葉
....le bleu reflète également le fait qu'une chose n'a pas encore tout à fait atteint le stade de la maturation, comme un jeune homme 青年 "année bleue".
D'ailleurs en France aussi quand on parle de quelqu'un qui débute quelque chose, on dit que c'est "un bleu"... !
la robe noire des chevaux qui est "bleu" 青毛 ! Mais là, on se rejoint , je vous ai toujours dit que le noir se comportait comme un bleu ( mélangé avec du jaune il donne du vert !)
Le rouge :
Quant au rouge, désigné par le mot akai, il s’applique aussi bien à des objets roux qu’à des rouges.
Vous suivez ? 😉
Avons-nous une rétine différente ? Non, bien entendu !
Les appellations diffèrent parce que nous ne classons pas les couleurs de la même manière !
Si nous observons comment ont été formées les appellations concrètes dont se servent de préférence les Japonais pour désigner les couleurs, nous nous apercevons qu'elles ont été formées d’une manière très simple qui se réduit à comparer un objet à un autre ; de sorte qu’en ajoutant le mot iro à des noms d’animaux, de plantes ou de substances minérales on obtient toute une terminologie.
Un peu de vocabulaire des couleurs ?
ou comment se forment les mots désignant les couleurs :
Ainsi
- de nedzumi, le rat, on a fait l’expression nedzumi iro, qui veut dire gris ;
- de beni, fard, ... beni iro, rouge ;
- de kuri, châtaigne, ... kuri iro, châtain ;
- de fuji, glycine, ... fuji iro, violet pâle ;
- de so, lait caillé, ... so iro, blanc mat ;
- de sabi, rouille, ... sabi iro, roux,
- ... etc ...
A cela s'ajoute les variations d’une même couleur dépendant principalement du degré de dilution de la couleur.
Trois mots suffisent donc à les distinguer, ce sont :
- koï épais,
- chu moyen,
- usuï clair.
Ainsi, par exemple, gris, nedzumi iro, deviendra :
- Koï nedzumi iro, gris épais ou foncé ;
- Chu nedzumi iro, gris moyen ;
- Usuï nedzumi iro, gris clair.
Les deux extrêmes, koï et usuï, sont, à leur tour, susceptibles d’être renforcés ou atténués, pouvant être précédés, selon le cas, du mot goku, beaucoup, très, ou de sukoshi, un peu.
Koï nedzumi iro devient donc goku koï nedzumi iro, gris très foncé,
et usuï nedzumi iro devient goku usuï nedzumi iro, gris très clair,
ou au contraire sukoshi koï et sukoshi usuï nedzumi iro, gris un peu foncé et gris un peu clair.
Mais toutes les couleurs ne peuvent pas être subdivisées de la sorte.
Lorsqu' en dégradant une couleur, on arrive à obtenir une teinte pareille à celle d’un autre objet déterminé, elle prend alors un nom nouveau qui est naturellement formé du nom de tel objet et du mot iro.
De cette manière, sumi iro, couleur d’encre, ou noir, devient, par l’addition d’un peu d’eau, usuï zumi iro ; mais si on augmente la dose au point que ce ne soit plus de l’encre, la teinte ainsi transformée change de nom et s’appelle haï iro, couleur de cendre.
Nous avons donc la gradation suivante :
- Sumi iro ;
- Usu zumi iro ;
- Haï iro.
De la même manière on passe par :
- Moegi iro, vert foncé des feuilles ;
- Usu moegi iro, même couleur moins foncée ;
- Kusa iro, couleur d’herbe.
De murasaki, violet, on arrive à fuji iro, couleur de glycine, qui n’est qu’une de ses variétés.
De beni iro, couleur de fard ou rouge, on passe à momo iro, rose, et à usu momo iro, rose clair.
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Si vous avez tout suivi jusqu'ici, rien ne peut plus vous étonner et vous commencez à maitriser le japonais !
Un peu plus ?
Les enfants ( et la météo à la télévision) choisissent la couleur rouge pour dessiner le soleil ( à cause du drapeau ? ... ou vice - versa) alors que chez nous ils prennent leur plus beau jaune!
Les feux de circulation au Japon ont trois couleurs : vert, jaune et rouge ; mais on utilise le mot bleu pour désigner le feu vert ...
Avec le temps, tout ceci a tendance à disparaitre
avec les couleurs désignées par leur nom en anglais,
ce qui finira par mettre tout le monde
sur la même longueur d’onde !!!
Bien sûr, je ne parle pas japonais 😉 aussi merci à :
http://sciences.gloubik.info/spip.php?article1378
Chère Christine tu plus que surprenante. Formidable encore toutes tes explications. Bien que je ne vienne pas en peinture et en atelier j’apprécie énormément.
Merci Christine et à mardi.
Anne-Marie
Je crois que ce sont plutôt les japonais qui sont les plus surprenants ! 😀
Merci d’avoir apprécié … ce qui veut dire que tu l’as lu jusqu’au bout! Bravo !!!
De toute façon, au Japon, tout est extrêmement compliqué dans leurs manières de vivre ; il y a de quoi s’emmêler les pinceaux…..
Extrêmement intéressant et à méditer, comme la philosophie, la manière de voir, puis le langage peuvent être très différents… J’ai relu 2 fois le passage “bleu-vert” (mon petit cerveau a du mal à les suivre, là, loll)
merci 🙂
Bonsoir,
pour compléter un point de votre article,
la notion de bleu (ao / おお)qui est aussi du vert vient du kanji – Ce kanji 青 , engobe les notions de printemps de la vie, de pale, d’immaturité.
Le mot japonais pour signifier le vert est apparu à l’époque Heian (794 – 1185) : 緑 (midori) –
Bien à vous