... Le romantisme voue un culte à la couleur bleue, spécialement le romantisme allemand.

Dès le fin du XVII° s. mais surtout à partir du XVIIIe siècle, deux éléments fondamentaux vont contribuer à l'expansion de la couleur bleue dans tous les domaines : les progrès techniques, mais aussi et surtout la mise en place d'une symbolique renouvelée des couleurs.
Au XVIIIe siècle, cette nouvelle symbolique accorde au Bleu la première place, et en fait définitivement la couleur du progrès, des lumières, des rêves et des libertés.

* La vogue des nouvelles nuances du bleu, tant en teinture qu'en peinture, contribue à en faire définitivement la couleur préférée, partout en Europe, mais plus spécialement encore en Allemagne, en Angleterre puis en France.
Dans ces 3 pays, la mode vestimentaire, dès les années 1740, fait du bleu une des 3 couleurs les plus portées ( avec le gris et le noir), notamment à la cour et à la ville.
Le recul très net des tons rouges dans le costume et dans la vie quotidienne ( proscrite par la religion protestante) a laissé une très large place au Bleu ainsi que :
-  la liberté enfin accordée aux teinturiers d'utiliser librement l'indigo, colorant naturel remarquable, connu depuis longtemps, mais dont l’emploi n’était pas libre.
- et la découverte d’un nouveau pigment artificiel permettant l’obtention de tons nouveaux : le bleu de Prusse ( relire ici)

* Elle est en outre relayée et confirmée, voire amplifiée, par un accroissement important du lexique des bleus dans plusieurs langues. Alors que ce lexique restait relativement pauvre dans la gamme des bleus clairs, il se diversifie considérablement vers le milieu du XVIII°, comme le montre les dictionnaires, les encyclopédies et les manuels de teinturerie…..

* La littérature du Premier Romantisme s’est faite l’écho de cette mode nouvelle des tons bleus.
L'exemple le plus remarquable en est le célèbre habit bleu et jaune de Werther que Goethe décrit dans son roman «  Les souffrances du jeune Werther » ( Liepzig – 1774).


L'extraordinaire succès du roman et la «  wertheromania » qui suivit lancèrent dans toute l'Europe la mode de l'habit bleu à la «  Werther ». De nombreux jeunes gens imitèrent la tenue du héros amoureux et désespéré et portèrent un frac ou un habit bleu, assorti à un gilet ou des culottes jaunes.
“J’ai eu bien de la peine à me résoudre à quitter le simple frac bleu que je portais lorsque je dansais pour la première fois avec Charlotte ; mais à la fin il était devenu trop usé. Je m’en suis fait faire un autre tout pareil au premier, avec un gilet et des culottes jaunes assortis comme ceux que j’avais ce jour-là.” - Les souffrances du jeune Werther - Goethe.

Ce roman, publié anonymement, est le premier roman de Johann Wolfgang von Goethe. Il parut à l'occasion de la foire du livre de Leipzig en automne 1774, et apporta à son auteur dès sa sortie une richesse et une notoriété considérables, en Allemagne d'abord puis dans toute l'Europe, notamment parce qu'il met en scène le suicide de son héros.
La première édition est considérée comme l'une des œuvres majeures du "Sturm und Drang"(mouvement précurseur du Romantisme presque exclusivement allemand).


On créa même une robe «  à la Charlotte », blanc et bleu avec un nœud et des rubans roses » .

Remarquable exemple ici des aller et retour qui existent, du Moyen Age au XX°, entre la société et la littérature : Goethe dote son héros d'un habit bleu parce que le bleu est à la mode en Allemagne à l'horizon des années 1770 ; mais le succès de son livre renforce cette mode, l'étend à l'Europe entière et la fait même sortir du seul domaine vestimentaire pour l'étendre aux arts figurés (peinture, gravure, porcelaine).
Preuve, une fois de plus, que l'imaginaire et la littérature font pleinement partie des réalités sociales.

* Les rapports entre Goethe et la couleur bleue ne se limitent pas aux « Souffrances du jeune Werther ».
Non seulement le bleu revient souvent dans ses poèmes de jeunesse ( comme dans ceux de tous ses contemporains) mais aussi et surtout, il en fait la couleur centrale de ses théories sur la couleur.
Très tôt, en effet, Goethe s'était intéressé à la couleur et aux écrits que les artistes et les savants y avaient consacrés.
Il conçut le projet d'un traité complet de la couleur ( « Zur Farbenlehre », fut publié à Tübingen en 1810, mais Goethe y apporta des compléments et des corrections jusqu'à sa mort en 1832) : ce traité n'est pas un ouvrage d'artiste ou de poète, mais un véritable traité scientifique.

A cette date, il était déjà « convaincu, comme par instinct, que la théorie de Newton était fausse » .
Pour Goethe, en effet la couleur est un phénomène vivant, humain, qui ne peut se réduire à des formules mathématiques. Il est le premier qui, contre les newtoniens, ait réintroduit l'être humain dans les problèmes de la couleur et ait osé affirmer qu'"une couleur que personne ne regarde est une couleur qui n'existe pas".
Dans la partie didactique de son ouvrage, son chapitre le plus original est peut-être celui des couleurs «  physiologiques » ou l’auteur souligne avec force le caractère subjectif et culturel de la perception ; ce qui à cette date est une idée presque neuve. Ses développements sur la physique et la chimie des couleurs, en revanche, sont fragiles et pauvres par rapport aux connaissances de son temps, ils ont beaucoup nui au succès du livre
Mais le traité de Goethe est remarquable pour la place importante qu'il accorde au bleu, faisant de celui-ci et du jaune les 2 pôles essentiels de son système.
Il voit dans l'association ( ou la fusion) de ces 2 couleurs l'harmonie chromatique absolue.
Nous sommes loin de l'époque où le bleu n'était qu'une simple nuance du noir.

Cette opinion … est celle de toute la sensibilité romantique qui par ailleurs apporte à la symbolique des couleurs une attention particulière.
Dans les textes littéraires c'est presqu'une nouveauté….

* Le texte emblématique, sinon fondateur, du romantisme est cependant le roman inachevé de Novalis «  Heinrich von Ofterdingen » publié à titre posthume en 1802 pat Ludwig Tieck, son ami le plus proche.
Ce roman conte la légende d'un trouvère du Moyen Age parti à la recherche de la petite fleur bleue vue en rêve, qui incarne la poésie pure et la vie idéale.
Le succès de cette petite fleur bleue fut considérable, bien supérieur à celui du roman.
Avec l'habit bleu de Werher elle devint la figure symbolique du romantisme allemand.
Et peut-être même du romantisme tout court, tant cette fleur et sa couleur furent imitées hors d'Allemagne par des poètes dans toutes les langues d'Europe.


Partout le bleu fut paré de toutes les vertus poétiques, il (re)devint la couleur de l'amour, de la mélancolie et du rêve ( ce qu'il était plus ou moins dans la poésie médiévale où le jeu de mots entre «  ancolie » - fleur de couleur bleue- et mélancolie existait déjà)
Le bleu des poètes rejoint ici le bleu des expressions et proverbes qui depuis longtemps déjà, qualifiaient de «contes bleus », les chimères et les contes de fées et d'  « oiseau bleu », l'être idéal, rare et inaccessible.

Ce bleu romantique et mélancolique, celui de la poésie pure et des rêves infinis, a traversé les décennies.

* Enfin et surtout il faut rapprocher du bleu des romantiques allemands , le «  blues », forme musicale d'origine afro-américaine, probablement née dans les milieux populaires à l'horizon des années 1870 et caractérisée par un rythme lent à 4 temps, traduisant des états d'âme mélancoliques.
Ce mot anglo-américain, blues, que de nombreuses langues ont adopté tel quel, provient de la contraction du syntagme « blue devils » ( démons bleus) ; ce dernier désigne la mélancolie, la nostalgie, le cafard, tout ce que le français qualifie d'une autre couleur : «  idées noires ». Il fait écho à l'expression anglaise «  to be blue » ou «  in the blue » qui a pour équivalent en allemand «  alles shwarz sehen, italien «  vedere tutto nero » et français «  broyer du noir ».

En savoir + :
- le livre de Michel Pastoureau bien sûr , " Bleu, histoire d'une couleur" ( Edition du Seuil et chez Points)
- les nombreux articles sur Wikipédia : Le Romantisme, le romantisme allemand, Goethe ....
- Et bien sur les deux articles sur ce blog : ici et

Nul doute qu'avec toute cette imprégnation vous vous sentirez d'humeur romantique !

3 Thoughts on ““Romantique et fleur bleue” …

  1. mireilleb on 4 janvier 2018 at 11 h 57 min dit:

    Merci Christine pour toutes ces nuances bleues si romantiques.
    A très bientôt le plaisir de poursuivre l’aventure.
    Bises

  2. GENUA Marie josé on 4 janvier 2018 at 12 h 06 min dit:

    Christine,
    Excellente idée pour l’atelier technique sur le théme “Recettes et secrets d’acrylique”;
    A mardi et merci encore pour ton enseignement , si constructif et enrichissant .

    Mahé

  3. Gauthier Ida on 4 janvier 2018 at 21 h 58 min dit:

    Chaque fois que je rencontre des gentianes en montagne, surtout la gentiane printanière d’un bleu saphir, difficile à reproduire à l’aquarelle, je pense à yves Klein et à son bleu outremer foncé dont il a déposé le brevet qu’il appelle IKB ( International Klein Blue) ;
    Ne manquez pas ce magnifique film, que j’ai vu cet après-midi: LE PORTRAIT INTERDIT au César.
    Raffinement, romantisme, des détails superbes, dans la Chine du XVIII eme siècle, la richesse des costumes, et ceux de ces personnages en bleu…de Chine ! Chaque plan est un tableau. Très beau.
    Meilleurs voeux à tous.
    Ida

Répondre à Gauthier Ida Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Post Navigation