... En continuant la lecture du " Spirituel dans l'art et dans la peinture en particulier" de Kandinsky... Quelques phrases ...

Toute œuvre d'art est l'enfant de son temps, et bien souvent, la mère de nos sentiments.
... Ainsi de chaque ère culturelle naît un art qui lui est propre et qui ne saurait être répété. Tenter de faire revivre des principes d'arts anciens ne peut, tout au plus, conduire qu'à la production d'œuvres mort-nés. Nous ne pouvons par exemple, avoir la même sensibilité ou la même vie intérieure que les Grecs anciens. Une telle imitation ressemble à celle des singes…

... Il existe cependant une autre forme d'analogie apparente des formes d'art, fondée sur une nécessité fondamentale. La similitude des recherches intérieures dans le cadre de toute une atmosphère morale et spirituelle...

...  Lorsqu'il s'agit de véritables formes d'art, elles atteignent leur but et constituent … une nourriture spirituelle … dans laquelle le spectateur trouve une consonance avec son âme…
De telles œuvres contribuent à défendre l'âme contre tout alourdissement, elles le maintiennent à une certaine hauteur comme les clefs maintiennent tendues les cordes d'un instrument...

… Chaque tableau contient mystérieusement toute une vie, avec ses souffrances, ses doutes, ses heures d'enthousiasme et de lumière... A quoi donc tend cette vie ? Vers qui l'âme angoissée de l'artiste se tourne-t-elle quand elle aussi participe à la création? Que veut - elle annoncer ?
" Projeter la lumière dans les profondeurs du cœur humain, telle est la vocation de l'artiste " ( Schumann)

L'art pour l'art n'est que la démonstration d'un savoir-faire avec un étouffement de toute résonance intérieure, où l'on admire la patte (comme un danseur de cordes) ou la peinture ( comme on apprécie un pâté)
L'artiste ici recherche le salaire de son habileté, de sa puissance inventive et de sa sensibilité sous forme matérielle…

Et pourtant ... le spectateur se détourne de l'artiste qui ne voit pas, dans un art dévoyé, le but de sa vie mais qui vise plus haut.
"Comprendre" c'est éduquer le spectateur afin de l'amener au niveau de l'artiste. Si l'art est l'enfant de son temps, ne rendant que ce qui est dans l'atmosphère du moment clairement accompli, cet art ne renferme en lui-même aucun potentiel d'avenir et ne sera ainsi que l'enfant de son époque, et n'engendrera jamais le futur : c'est un art castré. Il est de courte durée et meurt moralement lorsque l'atmosphère qui l'a créé vient à changer...

... " L'autre art", susceptible d'autres développements, prend également racine dans son époque spirituelle, mais n'en est pas seulement le miroir et l'écho ; bien au contraire, il possède une force d'éveil prophétique qui peut avoir une profonde influence...

... La vie spirituelle, auquel l'art appartient également, et dont il est l'un des agents principaux, est un mouvement compliqué, mais certain et facilement simplifiable, vers l'avant et vers le haut.
C'est le mouvement même de la connaissance qui, quelque forme qu'il prenne, garde le même sens profond et le même but...
Les causes de la nécessité qui nous contraint à nous mouvoir vers le haut et vers l'avant et " à la sueur de notre front" à travers les peines, le mal et les tourments, restent inconnues…

... Un homme surgit alors, l'un de nous, en tous points notre semblable, mais doué d'une mystérieuse puissance de vision: il voit et montre la route, il voudra se débarrasser de ce don, qui souvent lui pèse comme une croix. Il ne le pourra pas. Malgré le mépris et la haine, il traîne à sa suite sur le chemin encombré, vers le haut, vers l'avant, le lourd chariot de l'humanité. Souvent son moi corporel a depuis longtemps disparu lorsqu'il est reconnu et glorifié… C'est la preuve qu'une grande foule a alors atteint le niveau où il se trouvait alors.

*La nécessité intérieure naît de 3 raisons mystiques :
1 - chaque artiste en tant que créateur doit exprimer ce qui lui est propre = élément de la personnalité
2 - chaque artiste en tant qu'enfant de son époque doit exprimer ce qui est propre à cette époque = élément du style dans sa valeur intérieure, composée du langage de l'époque …
3 -  chaque artiste en tant que serviteur de l'art doit exprimer ce qui est propre à l'art en général = élément de l'art pur et éternel que l'on retrouve chez tous les hommes, tous les peuples, toutes les époques et l'œuvre de chaque artiste … il ne connaît ni espace, ni temps.
Seul ce 3° élément, celui de l'art pur et éternel reste éternellement vivant. Non seulement il ne perd pas de sa force avec le temps, mais en gagne constamment.

Plus une œuvre "actuelle" a les 2 éléments premiers, plus elle aura accès facilement à l'âme du contemporain.
De plus, plus l'œuvre actuelle sera imprégnée du 3° élément, plus les 2 premiers seront dominés et plus l'accès à l'âme du contemporain sera rendu difficile. C'est pourquoi parfois des siècles sont nécessaires pour que la résonance du 3° élément atteigne l'âme des hommes.
Ainsi la prépondérance du 3° élément dans l'œuvre est-elle le signe de sa grandeur et de la grandeur de l'artiste.
Ces 3 nécessités mystiques sont les 3 éléments nécessaires à l'œuvre d'art, intimement liés exprimant l'unité de l'œuvre.
Cependant, les 2 premiers portent en eux-mêmes le temps et l'espace, ce qui du point de vue de l'art pur et éternel, lequel est hors du temps et de l'espace, forme une sorte de cosse relativement opaque.

... La nécessité intérieure est le levier permanent infatigable qui pousse sans arrêt " vers l'avant" … la forme reconnue aujourd'hui est une conquête de la nécessité intérieure d'hier…
.. L'artiste doit être aveugle vis-à-vis de la forme "reconnue" ou " non reconnue", sourd aux enseignements et aux désirs de son temps. Son œil doit être dirigé vers sa vie intérieure et son oreille tendue vers la voix de la nécessité intérieure …
… L'art agissant sur le sentiment, il ne peut agir également que par le sentiment…
... Les proportions, les balances ne se trouvent pas en dehors de l'artiste mais en lui… C'est également en ce sens qu'il faut comprendre la possibilité d'une basse continue en peinture, prédite par Goethe...

Le mouvement : L'ensemble de l'humanité pour Kandinsky peut être schématisé en un triangle dans lequel se trouveraient l'ensemble des hommes " à des niveaux différents" par rapport à la compréhension de cet art "pur" et visionnaire. Ainsi :

... Un grand triangle divisé en parties inégales, la plus petite et la plus aigüe dirigée vers le haut, est un bon schéma de la vie spirituelle.
Plus on descend plus les sections du triangle sont grandes, larges spacieuses et hautes....
... Tout le triangle avance et monte lentement, d'un mouvement à peine sensible, et le point atteint aujourd'hui par le sommet du triangle sera passé demain à la section suivante...
... Ce qui veut dire que ce qui n'est aujourd'hui intelligible que pour la pointe extrême, n'est pour le reste du Triangle qu'élucubrations incompréhensibles et sera, demain pour la seconde section, le contenu chargé d'émotion et de signification de sa vie spirituelle...
... Il n'y a parfois à la pointe du triangle qu'un homme seul. La joie qu'il ressent de sa vision est égale à son infinie tristesse intérieure; ceux qui sont les plus proches de lui ne le comprennent pas… Combien d'années à cet artiste pour être compris ?...
... Dans toutes les sections du triangle on peut trouver des artistes; celui qui est capable de voir au-delà des limites de sa section est un prophète pour son entourage et aide au mouvement du chariot récalcitrant ...
... Plus la section est grande, plus la foule sera grande de ceux qui comprendront les paroles de ces artistes cités plus haut qui ne pensent que la peinture dans sa matérialité.
Cette représentation schématique est imparfaite, car l'on peut aussi glisser vers des sections plus basses si le poison de ce matérialisme s'insinue dans l'âme de l'artiste... Celui qui ne travaille pas sans relâche et ne lutte pas sans cesse, coule irrémédiablement...
... Ainsi à ce moment-là, dans des périodes où existent de tels artistes, où l'art continue dans la voie du " comment", le triangle reste immobile et peut même reculer ou redescendre...

... L'art doit retrouver le " quoi" perdu, ce " quoi" qui sera le pain spirituel de ce réveil spirituel, orienté vers un élément intérieur artistique, l'âme de l'art, sans laquelle le comment ( le corps) ne pourra avoir une vie saine et véritable...
Ce " quoi" est le contenu que seul l'art est capable de saisir en soi et d'exprimer clairement par des moyens qui n'appartiennent qu'à lui.

 

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