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"Le Combat de Carnaval et de Carême",
tableau de "Pieter Brueghel" dit "l’Ancien"(1525 - 1569),

l’un des maîtres de la peinture flamande de la Renaissance.

La fête du combat entre les figures de Carnaval et de Carême était un événement important dans l'Europe du XVIe siècle.
Elle représentait la transition entre deux temps spirituels :
le Mardi Gras et le Mercredi des cendres, mais aussi entre deux saisons culinaires : celle avec viande et celle sans viande - donc avec poisson.

En effet, la fête de Carnaval est avant tout « l'adieu à la viande » (Carnaval vient des mots « carne » = la viande et « vale » = adieu).
Le jeûne du Carême permettait de se préparer et se purifier en vue de la fête de Pâques et excluait la consommation de viande : les corporations de bouchers fermaient leur échoppe pendant les 40 jours et partaient à la campagne préparer leurs troupeaux pour le printemps.

Peint en 1559, à l'huile sur panneau de bois ( 118 x 164,5 cm), le tableau  représente une scène de genre, une fête paysanne dans un village, ou plus exactement sur la place du marché du village : cadre d'action traditionnel d'une telle scène de mardi gras, qui consistait à l'époque en un cortège derrière la figure du Carnaval dans toute la ville.
Dans certaines traditions, la fête se terminait par le moment où l'effigie du Carnaval était brûlée.

La peinture représente, comme souvent dans la peinture de Pieter Brueghel l'Ancien, un ensemble éclaté de différentes scènes, dans une tonalité de couleur en majorité ocre et rouge..
Elle est riche en allégories et symboles iconographiques.

La vue est plongeante et la lumière semble se dégager du centre de la place.
La place est encadrée par l'auberge à gauche (la maison avec un bateau en porte-drapeau),
et l'église à droite.

Au premier plan, se déroule une "lutte" entre la figure du Carnaval et celle du Carême sur leurs chars respectifs (un tonneau, pour le Carnaval - et une chaise triangulaire montée sur un plateau à roulette, pour le Carême), suivis chacun par leurs cortèges respectifs.

Carnaval et son cortège

Carnaval est incarné par un homme bedonnant sur sa barrique de bière (sur laquelle un large morceau de viande est rivée par un couteau). Il porte comme couvre-chef une tourte de viande et brandit une lance, où sont empalés une tête de cochon, un poulet, des saucisses ...
L'homme appartient visiblement à la corporation des bouchers, comme son long couteau autour de sa ceinture semble l'indiquer : il était en effet de tradition que la figure du Carnaval soit issue de la guilde des bouchers.
Derrière lui se tient un homme vêtu d'une tunique jaune (couleur traditionnellement associée à la tromperie) et d'un chapeau pointu.
Une femme porte sur la tête une table, sur laquelle se trouvent des gaufres (tradition culinaire du mardi gras) et du pain, avec, dans ses mains, un vase (à gauche) et une bougie (à droite) : la scène se déroulant en plein jour, le fait de porter une bougie allumée pourrait être un symbole de folie.
Un homme, coiffé d'une petite marmite, joue de la guitare, accompagné d'une femme portant gaufres et collier d’œufs autour du cou.

Cette insistance autour du thème des œufs et de la viande est bien entendu destinée à montrer que la viande du Carnaval contraste avec le Carême, où toute consommation de viande et d’œufs est interdite.

Carême et son cortège

Ce tableau est souvent compris comme le triomphe de Carême, ce qui est cohérent dans la mesure où le Carême succède au Carnaval dans l'ordre chronologique des fêtes.

Au centre un puits et un étal où des poissons sont vendus en vue de la préparation du Carême.

Dispersés tout autour, pêle-mêle : des aveugles, des estropiés mendiants, des danseurs, des musiciens, des nonnes en procession...

L'auberge
est remplie de buveurs et de badauds qui regardent la représentation théâtrale d'une farce populaire : Les Noces de Mopsus et Nysa, appelée également Les Fiançailles Malpropres.

Cette farce était généralement jouée par des célibataires tournés en ridicule : ici les noces d'un couple composé d'une femme tirant contre son gré un homme vers une tente de fortune.
L'ambiance est à la dérision : un enfant de chœur et un musicien jouant du gril accompagnent le « cortège ». Ce cortège est connu sous le nom de "charivari".
Le rituel est attesté dès le XIVe siècle. Il se tient à l'occasion d'un mariage jugé mal assorti (c'est notamment le cas des charivaris organisés lors du mariage d'un homme âgé avec une jeune femme) ou d'un remariage (notamment quand un veuf ou une veuve se remarie trop vite après le décès de son premier conjoint : il s'agit alors d'un rite funéraire dans lequel le bruit est le seul moyen d'expression du défunt).

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Plusieurs " pistes de lecture" pour ce tableau de Bruegel :

- Il représente une lutte (festive et symbolique) traditionnelle de l'époque, où deux chars et deux personnages étaient chargés d'incarner le contraste entre deux thèmes :
          - le mardi gras (= Carnaval, c'est-à-dire étymologiquement « adieu à la viande »)
          - et le mercredi des Cendres (= Carême, où seule la consommation de poisson était autorisée).
Ces deux défilés rivaux devaient finalement s'affronter : le tableau dépeint le moment où ils vont croiser leurs lances respectives, sur une place du marché très animée.

- De manière plus symbolique, le tableau peut se comprendre comme le partage de la société villageoise flamande entre deux tentations distinctes :
– la vie tournée vers le plaisir - dont le centre est l'auberge située à gauche du tableau ;
– l'observance religieuse - dont le centre est la chapelle à droite du tableau

mais aussi entre deux religions s'opposant en 1559 :
- le protestantisme, qui fait fi du Carême,
- et catholicisme, qui le respecte.

Il faut néanmoins noter que la « confrontation » entre les deux défilés de chars est dénuée de toute agressivité.
Il s'agit davantage ici du respect des temps religieux : Carnaval semble laisser place à Carême comme les festivités liées à la célébration du Carnaval laissent place à celles liées au Carême dans le déroulement de l'année.

Après avoir vraisemblablement fait partie de la collection de l'empereur Rodolphe II, le tableau est actuellement exposé au Kunsthistorisches Museum à Vienne.

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Pieter Brueghel le Jeune ( 1564 - 1636) fils de Brueghel l'ancien, dit aussi Brueghel d'Enfer ou encore Pieter Brueghel II, a peint une version du tableau de son père :
"Le Combat entre Carnaval et Carême" est aussi une huile sur bois (121 × 171 cm) , elle se trouve aux Musées royaux des beaux-arts de Belgique, Bruxelles.

En savoir + : ici et

3 Thoughts on “En ce jour de Mardi-gras … un tableau ” d’actualité” : …

  1. Geneviève Gallin on 5 mars 2019 at 16 h 45 min dit:

    Merci Christine , pour cette lecture d’un tableau bien connu… mais dont personnellement je n’aurais pu en comprendre la symbolique sans tes explications extrêmement intéressantes…désormais je ne vivrai plus “le Carnaval ” de la même manière”.
    c’est toujours une plaisir de te lire.
    Bonne journée.
    Geneviève Gallin

    • L'ocre Bleu on 6 mars 2019 at 12 h 42 min dit:

      Merci ! C’est toujours intéressant de ” lire” un tableau et hier, jour de Mardi gras on ne pouvait découvrir que celui-ci !

  2. elisabeth baudet on 7 mars 2019 at 15 h 26 min dit:

    Comme photographié depuis un drone; il y en a du monde sur cette place !! j’ai eu l’occasion de voir des tableaux de Brueghel il y a quelques années à Vienne, j’avais ramené quelques cartes postales de reproduction.

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